cousu de fil blanc
Au hasard de mes découvertes sur la blogo, j'ai noté des livres à lire plutôt que d'autres sur les grandes couturières et les grands couturiers. La vie de celles et ceux qui ont tout inventé à une période où tout restait à faire m'a toujours fascinée. Les gens qu'ils ont rencontrés, artistes, écrivains, philosophes, poètes, journalistes, architectes, mécènes, leur bouillonnement intellectuel, leur imagination sans limite et la certitude qu'ils étaient nés in the right place at the right time force le respect.
j'ai commencé léger, léger, cet été avec la bio insolente de Dominique Lelièvre sur Yves Saint Laurent dont j'ai parlé ici.
Depuis le début de l'année, j'ai attaqué la face nord. D'abord en douceur avec les souvenirs qu'a gardé Madeleine Chapsal de sa prestigieuse marraine Madeleine Vionnet.
J'ai tout de suite regretté d'avoir raté la rétrospective qui lui a été consacrée aux arts décoratifs en 2010... Madeleine Vionnet était une pionnière dans son domaine mais également dans sa manière de gérer son personnel (Gabrielle Chanel aurait d'ailleurs pu s'en inspirer...).
And now (l'enchainement est royal), ladies and gentlemen, let me introduce you Coco Chanel ! Il ne fallait rien moins qu'une académicienne pour s'attaquer à la vie de ce monument. Edmonde Charles-Roux réussit l'exercice avec brio. Son livre nous plonge des Cévennes à Paris, en passant par Dauville et la méditerranée, les Etats-Unis, l'Angleterre, la Suisse, Madrid et Berlin. Autant d'étapes, et j'en passe, qui rythment la vie de cette femme dont nous sommes toutes les héritières. Gabrielle a passé sa vie à effacer les traces de son passé, était une workaholic car malheureuse en amour, a croisé le destin et la vie de personnalités insensées. Elle a traversé le siècle en y creusant, têtue, le sillon qui dessine notre silhouette d'aujourd'hui, dans la fragance du numéro 5. La force du livre d'E.C.R. est d'inscrire systématiquement le personnage dans son contexte politique, social, économique et culturel. Car si Gabrielle a révolutionné l'histoire de la mode, c'est parce que l'histoire avec un grand H a influencé le cours de sa vie. Deux guerres et une situation géopolitique instable ont forcément contribué au génie et au succès de LA couturière.
A la lecture de cet ouvrage remarquable j'ai repensé souvent a cette soirée d'été dans les Cévennes commencée par une course contre le soleil qui se couchait plus vite que nous n'enchainions les virages en lacets. Il fallait rejoindre ce petit village perché qui projetait sur un vulgaire drap tendu entre deux arbres "Coco avant Chanel". Ce fut une soirée magique parce que le film était bien fait (je sais aujourd'hui qu'il est assez fidèle à cette époque de sa vie), parce que le bruit des bobines, les phares qui illuminaient parfois l'écran blanc improvisé, les chaises pliantes et les couvertures, ont nimbé la projection d'une atmosphère bucolique, d'une communion unique. Mais je suis certaine que Gabrielle s'est retournée dans sa tombe. Elle qui était si joliment fêtée ce soir là dans un village si proche de ses origines familiales, n'a pas du apprécier cette équation qui la reliait soudain à un passé qu'elle avait toujours farouchement caché.